Béziers, le 30 mai 2017

– par G. Nguyen

Dossier humour et culture: quand un biterrois raconte une bagarre !

Petite leçon de phrasé biterrois, pour raconter une bagarre. Les experts linguistiques de la bière artisanale La Gorge Fraîche se sont penchés sur les procédés discursifs de la communication à Béziers. Le récit d’une bagarre s’est avéré être le sujet le plus riche en figures de styles du phrasé biterrois.

Nos amis héraultais ont la gouaille facile, assistée d’un verbiage des plus expressifs. A Béziers dans l’Hérault, il y a des effets de style complexes pour appuyer son récit, afin de le rendre plus percutant pour l’auditoire. Le récit d’une bagarre est une catégorie linguistiquement très riche, où foisonnent ces mécanismes langagiers et gestuels. Après une longue et fastidieuse étude sur les comptoirs de bar et les terrasses, La Gorge Fraîche remet aujourd’hui les résultats de son étude ! Bonne lecture.

1) Le revirement temporel: conjugaison soudaine du récit au présent

Commencer l’histoire au passé et employer soudainement le présent balise le terrain. L’interlocuteur est immédiatement transporté dans la vivant de la scène, telle qu’elle est censée s’être produite !

« L’autre jour je marchais tranquillou dans la rue, pépère, et là un mec ARRIVE ».

Cette figure de style introduit une cassure dans le temps ou la routine qui mobilise soudainement l’attention de l’interlocuteur. Il permet de mettre en exergue le côté sensationnel de l’histoire, en replaçant la scène dans un contexte dynamique, comme si on y était.

2) La dénégation: dire une idée par son contraire

Ensuite, vient la dénégation. A Béziers, quand on relate une scène ayant mis en jeu un conflit entre deux personnes, il est de bon usage d’introduire une dénégation. Ce mécanisme est une figure de style qui permet de dire un élément du récit par son contraire.

« Et là, le gars il commence pas à m’engrainer », ce qui signifie en fait « il commence à m’engrainer (embêter) ».

Il s’agit d’une technique de communication en inversion, qui produit une infime confusion chez l’interlocuteur, pour lui faire ressentir le brusque désaccord qui a opposé les deux belligérants.

3) La persuasion: prévenir que cette fois-ci on n’exagère pas

Il n’est pas rare que le biterrois exagère quand il parle, et chacun a appris à relativiser la parole de son voisin, surtout quand il s’agit de taille ou de quantité. Ce scepticisme a donné naissance au mécanisme linguistique de persuasion, pour prévenir la mise en doute de l’interlocuteur : cette fois-ci c’est vrai. Celà se traduit alors par des précautions verbales telles que « sans déconner », « sans mentir », « je te jure », « tu me croiras ou pas ».

« Tu me croiras ou pas, c’était 8h du matin, le mec il sentait le pastaga à plein nez ».

Le bénéfice immédiat pour le narrateur: il a un coup d’avance sur son interlocuteur en prévenant le doute qu’il pourrait avoir sur la fiabilité des informations. Cette fois-ci c’est pas des craques.

4) Le « Aaallez », tournure d’apaisement

Pacifique, le biterrois essaie d’abord de tempérer. Il dit « aaaaalllez » en soupirant, ce qui est un signe d’apaisement dans les codes biterrois. On dit « aaaalllez » pour tout. Quand par exemple le coiffeur vous invite à vous asseoir au shampooing il vous dit « aaalllez, on va se laver le cheveux ». Ecoutez :

Avant un conflit, dire « aaallez » est une tentative de trouver une solution pacifiée, en jouant la clémence (si la personne est un peu pompette par exemple, ça arrive à tous).

« aaalllez, rentre chez toi hein. Tu as bu, t’es saoul mon ami ».

5) faire ressentir la colère éprouvée

Rebondissement, car le rival ne se calme pas. Le biterrois n’est clément qu’une fois ! Sanguin, on sait tous qu’il faut pas le faire caguer, au grand risque de lui faire monter les arcanettes ! Le mot spécial du cru sort tout seul : « Einculé ! ». Attention, il faut le prononcer avec un temps de suspension au milieu, et une insistance sur le « CU » – lé.

Le biterrois place alors ses mains en crochet devant sa gorge, afin de représenter  que « les boules » sont montées à la gorge.

« EIN – CCCU – lé ! (placer les mains en crochets devant la gorge) Je les avais grosses comme ça ! ».

De la sorte, l’interlocuteur parvient par un procédé d’empathie à sentir la colère qu’a pu ressentir la personne.

6) Le mot étincelle

On arrive au point d’acmé de la montée d’arcanette: le mot ou la chose que la future victime n’aurait pas du faire ou prononcer.

 » Et là le mec il me dit LE truc qu’il fallait pas me dire :  » ha ha si je rentre chez moi c’est pour aller voir ta femme.. »

Le mot étincelle met le feu aux poudres, avec un brusque arrêt du récit, pour montrer la suspension du temps qu’il s’est produit dans la tête du bagarreur, et soutenir l’effet sur l’interlocuteur très impressionné.

7) La rumination préliminaire

Ah ce stade là, il y a un moment de rumination préliminaire à l’éclat de la rixe, où l’on doit faire sentir la montée puissante des arcanettes. Pour ce faire, le biterrois va parler entre les dents, en tournant la tête sur le côté :

« alors là…. » « alors là… »

On entretient ainsi l’attention de l’interlocuteur dans un mélange d’appréhension et d’excitation. Car il sait, bien sûr, qu’elle va être l’issue du mot étincelle.

8) Ruminations complémentaires

Les ruminations complémentaires vont étayer le récit en ajoutant des informations, des arguments pour le premier marron. Souvent, il s’agit de choses à valeur sacrée pour le belligérant: sa maman, sa femme, ses enfants, son équipe de rugby…

« Moi je suis tranquille tu vois, tu peux tout me dire, je m’en branle. Mais un mot sur ma femme ou mes enfants, alors là… »

10) Bouquet final: la bagarre

C’est après cette lente montée du suspense qu’on en arrive au panache du récit : le bouquet final de la bagarre, avec un feu d’artifice de marrons et de châtaignes, replay gestuel et informations complémentaires. Pour les satisfactions d’orgueil il faut montrer qu’on a eu l’ascendant. Un moyen efficace est de dire que l’autre « a pris cher ».

« Le coup est parti tout seul.  Un coup de tête dans les ratiches, et bim bim bim je lui ai bourré la gueule. Il me met une droite comme ça, j’esquive, je me penche, et je lui mets un taquet dans l’estomac. Le mec plié, j’y fais une balayette avec le pied, il se casse la gueule, et j’y vais au sol. Bimbim boum, en-culé, il a pris cher ».

11) Le « Aaaallez » final et ses enjeux

Enfin, après la brusque montée d’adrénaline, la scène s’apaise soudainement. On démontre ainsi la supériorité écrasante avec laquelle on a mené la bataille, et le soulagement qui s’en est suivi. L’idée derrière est de faire comprendre qui a été le plus fort, et faire entendre que la lutte n’a pas été rude, que l’adversaire n’était pas bien coriace.

C’est un moment important pour clore le récit, il ne faut pas le rater, le but étant que celui-ci soit ensuite correctement partagé par l’interlocuteur médusé, quand il relaiera l’anecdote.

Pour clore, il ne faut enfin pas oublier un dernier « aaaallez ».

Aaaaallez ! Bonne journée les biterrois, on trinque à votre santé !

La Gorge Fraîche

Bière artisanale Sud de France